Bénin/Gouvernement intelligent : enjeux et défis pour un numérique plus inclusif

Publié le 09/03/2022 | La rédaction

Bénin

Le gouvernement du Bénin, à l’ère de la rupture, ne compte pas cracher sur les avantages et les opportunités liés au numérique. En consacrant tout un ministère à l’économie numérique et à la digitalisation, Patrice Talon a décidé de faire du numérique un secteur phare.

 

Inscrit dans le Programme d’action du gouvernement (PAG 1 et 2), plusieurs projets y sont prévus et marqués dans une vision claire : « devenir la plateforme des services numériques pour toute l’Afrique de l’Ouest en faisant des Technologies de l’information et de la communication le principal levier pour son développement socio-économique ». Ce dossier qui inaugure toute une série d’autres à venir, fait un état des lieux de la mise en œuvre des grands projets du PAG dans le secteur du numérique plus précisément en ce qui concerne la dématérialisation des services publics. Quid de la fourniture des e-services aux populations : quelle appréciation donner de la digitalisation des services publics ? qu’en est il de la réduction la fracture numérique entre les zones urbaines et les zones rurales ? quels sont les réels défis pour une meilleure inclusion numérique ? Plusieurs catégories de personnes, spécialistes et profanes partagent leur sentiment et donnent leur opinion sur les e-services au Bénin.
Quatrième révolution industrielle, que ce soit dans le monde professionnel, social ou même dans notre quotidien, on observe une consommation grandissante de l’internet surtout avec de nouvelles applications et de nouveaux usages qui tentent de nous faciliter la vie (quand elles ne nous la compliquent pas davantage). Si le numérique est un véritable moteur d’évolution et de croissance qui permet le développement accéléré des sociétés à travers la création de solutions innovantes, il est évident que l’avenir se joue dans ce secteur là.
Le gouvernement de Patrice Talon, en décembre 2016, rend public le Programme d’action du gouvernement (PAG 2016-2021). Pour ce qui est du ministère de l’économie numérique et de la digitalisation, six (6) projets phares disséminés dans soixante dix (70) sous projets y sont inscrits. Il s’agit du déploiement de l’Internet haut débit et très haut débit sur l’ensemble du territoire ; la migration vers la Télévision Terrestre Numérique (TNT) ; la mise en œuvre d’une administration intelligente (Smart Gouv) ; la généralisation de l’usage du E-commerce ; la généralisation de l’usage du numérique dans le secteur de l’éducation et la promotion du développement de contenus numériques. En attendant un dossier spécial qui revient sur le bilan global de la mise en œuvre des projets (2016-2021) dans le secteur du numérique, ce dossier-ci s’intéresse à une question d’actualité qui ramène au cœur du débat le citoyen qui, de là où il se trouve, peut demander des services en ligne et obtenir de l’administration publique des documents administratifs sécurisés dans un bref délai, dès lors qu’il a un Smartphone et une connexion internet, ce qui n’est pas toujours évident.
Une réforme salutaire…
Au nombre des axes stratégiques de la transformation numérique du Bénin, Smart Gouv est un ambitieux projet de mise en œuvre complète de l’administration intelligente. En mars 2020, début de la réforme, le Portail national des services publics regroupait 250 services publics en ligne. Aujourd’hui, les citoyens ont accès à des informations complètes sur plus de 700 services publics dont 97 e-services transactionnels où 21 e-services sont entièrement dématérialisés, de la demande à l’obtention en passant par le paiement en ligne. C’est dire qu’en moins de deux ans, les services publics digitalisés ont été multipliés par trois.
« Aujourd’hui, le Bénin a une plateforme à clé publique qui va lui permettre de sécuriser nos plateformes. Par exemple, la digitalisation permet d’identifier formellement la personne qui demande un service dans l’administration publique. Elle évite des variations dans les renseignements fournis par le requérant » rassure Aurelie Adam Soulé, ministre de l’économie numérique et de la digitalisation qui conclut « la dématérialisation de notre administration se poursuit à grand pas. Vous avez surement entendu les innovations dans le domaine des impôts où les déclarations se font en ligne, le téléchargement des fiches de paie à distance… aujourd’hui nous devons passer à l’étape d’industrialisation de la digitalisation pour permettre à tout citoyen quelque soit sa situation géographique de pouvoir demander des services administratifs sans se déplacer : le e-visa est un exemple concret de la dématérialisation et de la digitalisation qui continue d’émerveiller plus d’un ».
Un véritable soulagement pour les usagers…
Plusieurs citoyens, pour des raisons professionnelles ou sociales sont obligés de retourner dans leur localité de naissance afin de réunir certaines pièces (acte de naissance par exemple) avant de constituer un dossier. Prenons le cas d’un citoyen né à Karimama et résidant à Cotonou. « Pour avoir l'acte de naissance sécurisé, il peut être à n'importe quel lieu, faire sa demande en ligne, payer en ligne et recevoir en ligne dans un délai très court ce document en format numérisé » répond Kévin GOUNOU, agent en service à l'Agence Nationale d'Identification des Personnes (ANIP).
Pour lui, « cette réforme vise à éviter les tracasseries, le contact avec les agents, les longs déplacements, réduire les coûts aux usagers pour accéder facilement aux services publics ». Quant à Koudous, journaliste à l'Ortb « le béninois n’est plus obligé de quitter 800km pour venir se faire établir une pièce en ville. Aujourd'hui, il suffit de faire une demande en ligne, de procéder au paiement en ligne et on l'obtient incessamment même sur un autre continent. Par contre avant, c’est de longues queues à longueur de journée et aussi des pourboires pour que le dossier soit examiné ».
Fidégnon Adé, Entrepreneur et Expert numérique ne dira pas le contraire « Autrefois, pour retirer un casier judiciaire, il fallait se déplacer dans sa commune de naissance, ce qui sous-entend une horde de tracasseries, de perte de temps. Aujourd'hui il suffit de faire une demande en ligne. Aussi, la logique d'open data induite réduit l'hydre de la Corruption. Je suis totalement satisfait. Il faut voir le verre à moitié plein et toujours se rappeler d'où nous venons ». Ces témoignages varient d’un milieux à un autre et d’une personne à une autre. Les couches défavorisées et les analphabètes se sentent laisser sur le carreau.
Le gouvernement anticipe mais…
Le 06 août 2019, la ministre de l’économie numérique, Aurelie Adam Soulé a procédé à la mise en service de 40 points numériques communautaires dans le but d’offrir des services d’accès à internet, aux ressources et aux contenus numériques ainsi qu’aux formations, au profit des populations des communes bénéficiaires et des communes environnantes. Mieux encore, le gouvernement met en service 15 centres communaux de service public pour faciliter aux couches les plus démunies de la population qui ne disposent pas d’ordinateur ou de smartphone et de connexion internet, l’accès à ces prestations quelque soit leur position géographique.
En effet, un centre communal de service public est un dispositif composé d’un ensemble d’équipements que sont les bornes (pupitre) tactiles utilisant un point d’accès Wi-Fi avec abonnement et alimentés par l’énergie solaire photovoltaïque. Ces centres permettent aux usagers d’accéder facilement aux services dématérialisés, d’améliorer la qualité des services publics aux usagers, de promouvoir l’équité dans la délivrance des services en réduisant le contact entre agents publics et usagers. « Aujourd'hui, nous avons des acteurs à l'inclusion numérique qui s'installent de plus en plus pour aider cette couche d'analphabètes à avoir accès aux services digitalisés » soutient Kévin GOUNOU.
…encore plusieurs défis à relever
Outre le fait que les plateformes, à des moments donnés de la journée, sont difficiles d’accès, les délais de retrait des actes administratifs qui ne sont pas toujours respectés, s’ajoute une autre difficulté. En effet, le Bénin compte déjà un fort taux de personnes ne sachant ni lire, ni écrire en français. A ceux là s’ajoutent les analphabètes numériques qui se sentent en marge du projet de modernisation de l’administration publique par la fourniture des e-services.
« En tant que commerçante, je ne peux pas m’inscrire seule. Je me fais souvent aider par les enfants ou les clients qui viennent souvent payer chez moi. La dernière fois, c’est pour l’établissement de ma souche. Vraiment c’est un peu tracassant ! En plus des frais pour cette pièce, j’ai fait un forfait de 500 francs CFA. C’est un peu trop. A mon avis, ils n’ont qu’à revoir leurs plateformes surtout pour nous les analphabètes. C’est important » confie Eugénie AGOSSOU, vendeuse de maïs dans la commune d’Abomey-Calavi.
Si les 40 points numériques communautaires et les 15 centres communaux de service public n’ont pas suffi à satisfaire la couche analphabète au sein des usagers, c’est qu’il faut envisager des solutions additionnelles et complémentaires notamment intensifier l’information, la communication, la sensibilisation et l’éducation sur ces initiatives d’inclusion numérique.
L’administration publique locale a aussi un rôle capital à y jouer. Elle doit prendre le relai. A ce titre, il revient aux élus et aux agents des communes de développer une culture numérique. Il s’agit par exemple de nouer des partenariats avec les Ong, startups, entrepreneurs et entreprises numériques pour apporter leur savoir faire, développer l’écosystème numérique local, créer de l’emploi et faire du numérique un véritable levier de développement socioéconomique.
Mais pour l’instant, les collectivités locales ont le devoir d’animer les points numériques et les centres communaux de service public mis en place dans leur commune respective par l’Etat central en veillant à ce que le personnel (les conseillers numériques) soit renforcé en termes de capacités et d’effectif si possible mais aussi et surtout qu’ils soient motivés pour un bon accompagnement des couches les plus défavorisées. D’ailleurs, une ligne doit être prévue dans le budget des communes pour tirer pleinement profit de ce secteur là.
Pour sa part, Fidégnon Adé, Entrepreneur et expert numérique propose « l'inclusion des analphabètes nécessite des instructions vocales en vernaculaire, l'amélioration de la bande passante et la réduction du coût lié à internet ».

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